Martine : Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode du Podcast de Martine. Aujourd’hui, nous avons l’immense plaisir d’accueillir Alexandre, professeur d’histoire africaine. Bonjour Alexandre et merci d’être avec nous.
Alexandre : Merci beaucoup Martine, c’est un réel plaisir pour moi d’être ici pour partager mes connaissances sur cette riche partie du monde qu’est l’Afrique.
Martine : La situation historique du continent africain est riche et complexe. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu des grandes périodes clés que vous aborderez aujourd’hui ?
Alexandre : Bien sûr. Nous parlerons d’abord des civilisations anciennes prospères comme l’Égypte antique, l’empire du Ghana, le royaume d’Aksoum et autres grands royaumes africains précoloniaux. Ensuite, j’aborderai la période de la traite négrière et de la colonisation européenne, des moments sombres mais déterminants. Enfin, nous évoquerons les luttes pour les indépendances au 20ème siècle et les défis des jeunes nations africaines jusqu’à nos jours.
Martine : Un vaste programme passionnant en perspective ! Merci Alexandre, nous sommes impatients d’entrer dans le vif du sujet après cette courte pause.
Alexandre: Voici quelques éléments clés sur l’Égypte antique que je pourrais aborder :
L’Égypte antique était une des plus anciennes civilisations du monde, remontant à environ 3100 av J-C avec l’unification du Royaume antique. Cette civilisation s’est développée le long du Nil, fleuve nourricier qui a permis l’agriculture et l’émergence de grandes cités.
Les Égyptiens ont connu une succession de périodes fastes et de déclin sur près de 3 millénaires, avec des règnes de pharaons légendaires comme Khéops, Akhenaton, Ramsès II, Cléopâtre… Ils ont laissé un riche héritage culturel et architectural dont les pyramides, les temples, les trésors de la Vallée des Rois témoignent encore aujourd’hui.
Au sommet de leur puissance aux alentours de 1500 av J-C, les Égyptiens dominaient une grande partie du Proche-Orient ancien et entretenaient des liens commerciaux et culturels avec d’autres civilisations méditerranéennes et moyen-orientales.
Leur civilisation a connu un déclin progressif, rythmé d’invasions de peuples étrangers jusqu’à la conquête définitive par Alexandre le Grand, marquant la fin de la période pharaonique en 332 av J-C.
L’héritage égyptien antique reste considérable, notamment dans les domaines de l’écriture, de l’architecture, de la religion, des sciences et techniques qui ont influencé les civilisations ultérieures.
Les pyramides et les pharaons sont en effet deux des éléments les plus emblématiques et fascinants de l’Égypte antique. Permettez-moi d’approfondir ces deux aspects majeurs :
Les pyramides sont ces imposantes constructions en pierre qui servaient de tombeaux monumentaux pour les pharaons et leur famille. Les plus célèbres sont les pyramides de Gizeh, érigées vers 2500 av J-C, dont la pyramide de Khéops, seule merveille du monde antique encore debout aujourd’hui. Leur conception et leur construction démontrent des connaissances architecturales et mathématiques très avancées pour l’époque. Elles illustrent aussi le pouvoir absolu des pharaons qui mobilisaient des milliers d’ouvriers et de ressources pour leur édification.
Les pharaons étaient les monarques divinisés qui régnaient sur l’Égypte antique. Considérés comme les représentants des dieux sur terre, ils détenaient tous les pouvoirs religieux, politiques et militaires. Certains pharaons comme Khéops, Ramsès II ou Toutankhamon ont marqué l’histoire par leurs réalisations architecturales colossales, leurs conquêtes militaires ou les trésors funéraires retrouvés intacts. La riche tradition funéraire des pharaons, incluant la momification, avait pour but de leur permettre d’accéder à la vie éternelle après leur mort.
Au sommet d’une société hiérarchisée et complexe, le culte voué au pharaon, véritable dieu vivant, était au cœur de la civilisation égyptienne antique pendant près de 3 millénaires.
Voici les éléments clés sur l’empire du Ghana, un des grands royaumes d’Afrique de l’Ouest dans l’Antiquité :
L’empire du Ghana émergea vers le 4ème siècle après J-C dans la région située entre les fleuves Sénégal et Niger (actuels Mali, Mauritanie, Sénégal). Son apogée se situa entre les 9ème et 11ème siècles.
Cet empire prospéra grâce au contrôle des routes commerciales transsahariennes qui acheminaient l’or, en provenance des riches mines de la région, vers le nord de l’Afrique et le monde arabe. Le Ghana devint ainsi l’un des principaux pourvoyeurs d’or du monde médiéval.
Au faîte de sa puissance, l’empire s’étendait sur un vaste territoire et contrôlait la majeure partie du commerce transsaharien. Sa capitale Koumbi Saleh était une cité cosmopolite et riche.
Le roi du Ghana, appelé le Ghana, détenait un pouvoir centralisé absolu et disposait d’une armée puissante. L’empire était une société hiérarchisée avec une aristocratie commerçante prospère.
La force militaire, la position stratégique sur les routes commerciales et le contrôle des ressources en or ont permis à l’empire du Ghana de dominer l’Afrique de l’Ouest pendant plusieurs siècles avant d’être supplanté au 11ème siècle par l’empire du Mali.
C’était l’une des premières grandes civilisations négro-africaines dont le rayonnement économique, politique et culturel influença durablement la région.
Le royaume d’Aksoum fut un puissant empire qui s’étendit sur l’actuelle Érythrée et une partie de l’Éthiopie, de l’Antiquité tardive jusqu’au 7ème siècle après J-C. Voici les principales caractéristiques de ce royaume méconnu mais majeur de l’histoire africaine
Situé dans la corne de l’Afrique, le royaume d’Aksoum émergea vers le 1er siècle après J-C et connut son apogée entre les 3ème et 6ème siècles. Il contrôlait alors une vaste région stratégique, des côtes de la mer Rouge jusqu’au plateau éthiopien.
Aksoum était un carrefour commercial prospère, bénéficiant de sa situation entre la Méditerranée et l’océan Indien. La cité d’Aksoum était une métropole cosmopolite fréquentée par les marchands grecs, romains, perses, indiens, arabes.
Ce royaume était l’un des plus puissants de son temps, avec une solide armée qui lui permit de contrôler la mer Rouge et de s’emparer du Yémen pendant un temps. Sa force maritime lui valut le surnom de “Rome de la mer Érythrée”.
Les Akssoumites avaient développé un système d’écriture propre, dérivé de l’alphabet sud-arabe. Ils pratiquaient le christianisme monophysite dès le 4ème siècle.
Des vestiges impressionnants de stèles monumentales, obélisques géants, palais et églises taillés dans la pierre témoignent encore du haut degré de développement architectural et culturel du royaume d’Aksoum.
Son déclin à partir du 7ème siècle reste en partie mystérieux, peut-être lié à l’essor de l’islam qui modifia les routes commerciales.
Voici un aperçu de quelques autres grands royaumes et empires précoloniaux d’Afrique, aux côtés de ceux déjà évoqués :
L’Empire du Mali (13ème-16ème siècles)
Succédant à l’Empire du Ghana, le Mali fut un immense empire d’Afrique de l’Ouest centré sur les riches salines et les mines d’or. Sous les règnes légendaires de Soundiata Keïta et Kankan Moussa, il connut un âge d’or économique et culturel. Les cités marchandes comme Tombouctou, Djenné ou Gao étaient des foyers de savoir et de commerce cosmopolites.
Le Royaume du Monomotapa (15ème-17ème siècles)
Situé dans l’actuel Zimbabwe, il tirait sa richesse de ses mines d’or et de fer. Des ruines impressionnantes comme le Grand Zimbabwe témoignent de la puissance de cette civilisation bantoue méconnue.
Le Royaume d’Abomey (17ème-19ème siècles)
Basé dans l’actuel Bénin, le puissant royaume du Danhomè dominait la région grâce à son armée redoutable et son contrôle du commerce des esclaves vers les Amériques. Il a marqué l’histoire par sa civilisation unique et sa résistance farouche face à la colonisation française.
L’Empire Ashanti (17ème-19ème siècles)
Cet empire akan situé au Ghana actuel fut l’un des plus riches et puissants de l’Afrique de l’Ouest grâce aux mines d’or. Il opposa une résistance acharnée aux Britanniques au 19ème siècle.
Ces grands royaumes témoignent de la richesse et de la diversité des civilisations précoloniales africaines, structurées autour du commerce transcontinental, des ressources minières et d’une organisation sociale et militaire complexe.
Voici les éléments clés sur la période de colonisation de l’Afrique par les puissances européennes aux 19ème et 20ème siècles :
Le “Scramble for Africa” ou course aux colonies en Afrique s’intensifia à partir de 1880. Au Congrès de Berlin en 1884-1885, les grandes puissances européennes se partagèrent l’essentiel du continent, à l’exception de l’Éthiopie et du Liberia.
La France prit le contrôle d’une grande partie de l’Afrique de l’Ouest et équatoriale, la Belgique du vaste bassin du Congo, la Grande-Bretagne de régions d’Afrique australe, orientale et occidentale. Le Portugal, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie se taillèrent aussi des colonies.
Cette colonisation répondait à des motivations économiques (contrôle des matières premières), politiques (prestige national) et idéologiques (“mission civilisatrice”).
La domination coloniale s’imposa souvent par la force face à la résistance de nombreux royaumes africains. Elle s’accompagna d’exactions, de famines, de déportations de populations et d’un pillage intensif des ressources.
L’administration coloniale, bien qu’apportant parfois des infrastructures, imposa aussi des frontières artificielles, divisant des populations. Elle instaura un système d’exploitation économique et un ordre social inégalitaire.
Ce traumatisme historique majeur prépara les révoltes et luttes pour les indépendances qui marquèrent la seconde moitié du 20ème siècle en Afrique, avec la naissance de nouveaux États-nations.
La question religieuse a joué un rôle significatif pendant la période de colonisation en Afrique. Voici quelques éléments clés à ce sujet :
Avant la colonisation, des religions traditionnelles africaines animistes étaient très répandues, ainsi que l’islam implanté depuis des siècles dans certaines régions comme l’Afrique de l’Ouest et de l’Est.
Les puissances coloniales européennes, de tradition judéo-chrétienne, ont souvent accompagné leur expansion territoriale d’une volonté de propager le christianisme. Des missionnaires chrétiens (catholiques et protestants) ont ainsi essaimé sur le continent.
Cela s’est fait de manière plus ou moins coercitive selon les régions, allant de la persuasion à la conversion forcée en passant par des pressions économiques ou administratives. Des écoles religieuses ont été créées pour l’évangélisation.
Cette diffusion du christianisme a conduit à des conflits parfois violents avec les religions traditionnelles et l’islam déjà implanté. Elle a également engendré des phénomènes de syncrétisme entre traditions.
Dans certaines colonies, les autorités ont aussi tenté de contrôler et d’instrumentaliser les religions locales existantes à des fins politiques de domination.
Au final, la colonisation a profondément reconfiguré le paysage religieux africain, même si l’animisme et l’islam ont résisté. Une diversité et complexité des affiliations religieuses persiste de nos jours.
Voici quelques-unes des principales erreurs et dérives commises par les puissances coloniales européennes lors de la colonisation de l’Afrique :
L’absence de prise en compte des réalités locales
Les Européens ont souvent agi avec un profond mépris pour les civilisations, cultures et structures sociales préexistantes en Afrique. Au lieu de s’appuyer sur ces fondations, ils ont tenté d’imposer des modèles importés sans adaptation.
Le tracé artificiel des frontières
Le découpage des frontières des futures colonies s’est fait de manière totalement arbitraire sur une carte, sans égard pour les réalités ethniques, linguistiques et territoriales des populations africaines. Cela a posé les ferments de futurs conflits.
L’exploitation économique abusive
Dans une logique d’extraction maximale des richesses, les puissances coloniales ont mis en place des systèmes d’exploitation intensive des ressources naturelles et humaines africaines, sans réel souci de développement équitable.
La ségrégation raciale institutionnalisée
De nombreuses colonies ont instauré des régimes juridiques discriminants envers les populations locales, avec des inégalités de droits et un cantonnement dans des zones spécifiques (réserves, quartiers).
Les violences et répressions sanglantes
Face aux résistances et révoltes, trop souvent les autorités coloniales ont répondu par une répression aveugle et meurtrière plutôt que par le dialogue et des réformes.
Ces erreurs, motivées par des visées hégémoniques et des préjugés racistes tenaces, ont laissé des traumatismes profonds. Elles ont aussi hypothéqué durablement le développement équilibré de nombreux pays africains après les indépendances.
Voici un aperçu rapide de la situation actuelle en Afrique :
Stabilité politique et institutions fragiles
Si de nombreux pays africains sont aujourd’hui des démocraties formelles, la réalité est souvent celle d’institutions faibles, d’élections contestées et d’instabilité politique chronique dans certaines régions, avec des conflits armés persistants.
Défis économiques et développement inégal
Malgré d’importantes ressources naturelles, la croissance économique reste en deçà des attentes. La pauvreté, le sous-emploi, les inégalités de revenus et un développement déséquilibré entre villes et campagnes demeurent des défis majeurs.
Poids démographique et enjeux sociaux
Avec une population jeune et en forte croissance, l’Afrique doit relever d’immenses défis en termes d’éducation, de santé, d’emplois et de services de base pour tous. Les tensions sociales sont exacerbées par l’exode rural massif.
Transitions démocratiques et respect des droits
Plusieurs pays peinent à consolider leurs régimes démocratiques naissants. La liberté de la presse, les droits des minorités et de la femme restent des enjeux cruciaux dans bien des endroits.
Changement climatique et environnement
Le réchauffement provoque sécheresses, désertification, pénuries d’eau potable, insécurité alimentaire dans plusieurs régions d’Afrique, menaçant les moyens de subsistance.
Intégration économique régionale
Malgré des progrès, l’intégration des marchés et la libre circulation des biens, services et personnes reste un objectif incomplet au sein des communautés économiques régionales africaines.
Un continent immense aux réalités contrastées, entre opportunités de développement et défis socio-économiques persistants près de 70 ans après les indépendances.
Voici quelques-uns des pays étrangers les plus impliqués commercialement et politiquement en Afrique actuellement :
La Chine
Pékin est de loin le partenaire le plus présent avec ses investissements massifs dans les infrastructures, l’énergie, les mines à travers tout le continent dans une logique d’accès aux matières premières. Mais cette influence grandissante est critiquée pour son opacité et son manque d’exigence sur la gouvernance.
La France
L’ancien colonisateur reste très impliqué, surtout en Afrique francophone, que ce soit militairement (opérations antiterroristes au Sahel), économiquement ou politiquement, parfois de manière controversée.
Les États-Unis
Washington prône un rôle de “partenaire”, via l’aide au développement, la formation militaire et des relations économiques, mais reste distancé par la Chine et critiqué pour son manque d’engagement durable.
La Turquie
Ankara développe une stratégie ambitieuse “d’expansion douce” en multipliant les investissements, les échanges commerciaux et l’assistance en Afrique, dans une logique néo-ottomane.
L’Inde
La puissance émergente accroît ses partenariats économiques et cherche à s’implanter davantage, en concurrence avec Pékin, notamment dans l’océan Indien.
L’Union européenne
Important partenaire commercial et bailleur d’aide au développement, l’UE prône aussi un dialogue politique accru sur la sécurité et les migrations.
La Russie
Moscou reste un fournisseur d’armes et de mercenaires importants, tout en cherchant à accroître ses investissements miniers et énergétiques.
Un échiquier d’influences où émergent de nouvelles puissances aux motivations parfois contradictoires.
Voici quelques perspectives et enjeux clés pour le futur du continent africain:
Un poids démographique croissant
Cet atout démographique devra être accompagné de créations massives d’emplois et d’investissements dans l’éducation et la formation.
Une classe moyenne émergente
La croissance d’une classe moyenne urbaine consommatrice et connectée pourrait stimuler le développement économique et l’entreprenariat, à condition de réduire les inégalités criantes actuelles.
Une transition énergétique et climatique cruciale
Anticiper et s’adapter aux impacts du réchauffement climatique tout en relevant le défi de l’accès à l’énergie pour tous seront des impératifs pour le développement durable du continent.
La consolidation de l’intégration régionale
Le renforcement des communautés économiques régionales et de la Zone de libre-échange continentale pourrait favoriser les échanges, la mobilité et le poids géopolitique de l’Afrique.
La gestion des défis sécuritaires
La lutte antiterroriste, la résolution des conflits gelés, le contrôle de la criminalité transnationale conditionneront la stabilité de nombreux pays.
Le respect de l’État de droit et de la démocratie
Une condition sine qua non pour que l’Afrique réalise pleinement son potentiel de croissance à long terme et sorte durablement du sous-développement.
En somme, un avenir riche d’opportunités mais aussi de défis complexes pour ce continent aux réalités plurielles mais uni par sa jeunesse et ses aspirations à l’émergence économique et politique.
Martine : Nous arrivons malheureusement au terme de cet entretien riche et passionnant. Alexandre, je tiens à vous remercier sincèrement pour le temps que vous nous avez accordé aujourd’hui et pour avoir partagé avec autant de pédagogie et de précision votre grande expertise sur l’histoire et les enjeux du continent africain.
Votre éclairage aura permis, j’en suis certaine, à nos auditeurs de mieux comprendre les racines profondes, les réalités complexes mais aussi les formidables opportunités qui s’ouvrent pour l’avenir de cette partie du monde si importante.
Alexandre : C’était un réel plaisir d’avoir pu évoquer ces nombreux sujets avec vous Martine. J’espère que cet aperçu historique et prospectif aura suscité l’intérêt et donné l’envie d’en apprendre davantage sur les riches civilisations et le destin d’un continent qui influence et influencera toujours plus les évolutions de notre monde globalisé.
Martine : Merci encore Alexandre pour votre générosité. Et un grand merci à vous tous chers auditeurs pour votre attention. Rendez-vous au prochain épisode du Podcast de Martine pour explorer d’autres horizons passionnants ! À très bientôt.