Plus de 30 ans après être devenue la réfugiée la plus connue du monde, Sharbat Gula est retournée en Afghanistan et a été logée par le gouvernement.

De Nina Strochlic
Sharbat Gula, appelée « l’Afghane aux yeux verts ». Durant la Guerre d’Afghanistan elle a été forcée de quitter le pays et c’est dans un camp de réfugiés au Pakistan que le journaliste Steve McCurry l’a photographiée en 1984. Cette photo a fait la couverture du magazine National Geographic en juin 1985.

La maison ainsi qu’une rente de l’équivalent de 600€ par mois pour s’acquitter de frais médicaux dont elle a besoin sont offerts par le gouvernement afghan à Sharbat Gula, désormais âgée de 45 ans, selon les propos rapportés de Najeeb Nangyal, porte-parole du ministère afghan de la Communication.
Sharbat Gula, plus connue sous le surnom de « l’Afghane aux yeux verts », a reçu les clefs de sa nouvelle maison le mois dernier lors d’une cérémonie organisée par les autorités afghanes. Cet événement conclut trois décennies d’exil au Pakistan et une année tourmentée depuis le retour de Sharbat et sa famille en Afghanistan.
Les yeux verts perçants de Sharbat Gula en avaient fait une icône. Orpheline à l’âge de six ans suite à l’invasion soviétique de l’Afghanistan, elle s’était rendue à pied au Pakistan avec ses frères et sœurs et leur grand-mère. Le photographe de National Geographic Steve McCurry avait pris son portrait et en avait fait le symbole de l’enfance sacrifiée de milliers de réfugiés fuyant la guerre. Dans son pays natal, elle est même devenue la « Mona Lisa Afghane ».
Elle est maintenant devenue le symbole du retour en Afghanistan, un chemin qu’empruntent des centaines de milliers de réfugiés après 30 ans d’exil.

 

UN LENT RETOUR

Sharbat Gula avait été arrêtée l’année dernière pour faux et usage de faux parce qu’elle avait présenté une fausse carte d’identité pakistanaise – une pratique commune pour les 1 million de réfugiés afghans qui vivaient illégalement dans le pays. Elle risquait 14 ans d’emprisonnement et 4 260 € d’amende.
Elle élevait alors seule ses quatre enfants et souffraient d’une hépatite C, qui avait emporté son époux des années auparavant.
« Quand les autorités pakistanaises l’ont arrêtée et accusée de faux et d’usage de faux, c’est devenu une cause nationale pour les Afghans et pour le gouvernement afghan, » explique Nangyal.
Après être restée en détention pendant deux semaines, Sharbat Gula a été relâchée et renvoyée en Afghanistan avec ses enfants. « L’Afghanistan est ma terre natale mais le Pakistan était ma terre d’accueil et je l’ai toujours considéré comme mon pays », avait-elle alors déclaré à l’AFP. « Je suis rejetée. Je n’ai d’autre choix que de partir. »
Sur la seule année 2016, 370 000 réfugiés ont quitté le Pakistan pour revenir en Afghanistan. Des dizaines de milliers d’autres ont été renvoyés du Pakistan pour l’Iran et l’Europe ces dernières années, contraints ou déportés. « Cette femme est un symbole pour les Afghans et aussi un symbole pour le Pakistan, » explique Heather Barr, chercheuse pour Human Rights Watch (HRW) qui a travaillé 10 ans en Afghanistan. « La manière dont elle a été traitée par les autorités pakistanaises devant les caméras du monde entier a été perçue comme une humiliation par le gouvernement afghan : « Voilà la femme qui a fui votre pays pour le nôtre. » Les autorités afghanes ont répondu en l’accueillant de manière ostentatoire. Le message était clair « Nous pouvons prendre soin de nos ressortissants ». » Sharbat Gula a été accueillie par le président Ashraf Ghani, qui lui a remis les clefs de son nouvel appartement et a promis à ses enfants qu’ils bénéficieraient des meilleurs soins et de la meilleure éducation. « Nous lui souhaitons un très bon retour dans sa terre natale, » a déclaré Ghani au cours d’une cérémonie. « Je l’ai dit plusieurs fois, et je le répète : notre pays ne sera à nouveau complet que lorsque tous nos réfugiés seront revenus chez eux. » En septembre dernier, le neveu par alliance de Sharbat, Niamat Gul, s’est plaint aux médias afghans que le gouvernement n’avait pas payé leur rente. Nangyal, le porte-parole du gouvernement, s’en défend et assure que la rente avait bien été payée depuis le retour de Sharbat et de sa famille en Afghanistan. Quand elle a demandée une maison plus traditionnelle, dit-il, elle a été relogée dans une résidence de 10 chambres près du palais présidentiel temporaire, le temps qu’une autre maison lui soit achetée. La nouvelle demeure est sécurisée, et les invitations sont très sélectives. Niamat Gul explique que cette attention très forte depuis qu’elle a fait la couverture de National Geographic la rend très impopulaire auprès des Afghans conservateurs qui voient d’un mauvais œil qu’une telle attention médiatique soit accordée à une femme. Son nom apparaît désormais sur les actes de propriété de sa nouvelle résidence, ce qui fait d’elle l’une des rares femmes afghanes propriétaires (seuls 17 % de femmes le sont en Afghanistan). Le numéro de juin 1985 du magazine National Geographic a rendu célèbre l' »Afghane aux yeux verts ».

PERDUE ET RETROUVÉE

Ces quinze dernières années, beaucoup de caméras ont été attirées par Sharbat Gula. L’identité de l’ « Afghane aux yeux verts » était inconnue jusqu’en 2002, jusqu’à ce que le photographe Steve McCurry retrouve sa trace dans les montagnes séparant le Pakistan et l’Afghanistan. Un analyste du FBI, spécialisé dans la reconstitution faciale et inventeur du système de reconnaissance de l’iris (système IRIS) a vérifié son identité. Elle est apparue une deuxième fois en couverture de National Geographic, devenant l’une des rares personnes en ayant fait deux fois la couverture.
À l’époque, Sharbat Gula était une femme mariée et ne savait pas que son visage était connu dans le monde entier. Elle a confié alors à Steve McCurry qu’elle espérait que ses filles auraient l’éducation qu’elle n’a jamais eue.
Ce sera le cas désormais : ses filles entreront à l’école à la rentrée prochaine, d’après Gul, et compléteront leur éducation. Le gouvernement afghan l’encourage à étendre ce rêve au plus grand nombre. Nangyal, le porte-parole du gouvernement, a suggéré la création d’une fondation pour l’éducation des enfants et l’émancipation des femmes, particulièrement parmi les populations rapatriées. Elle considère cette offre sérieusement « Mon message à toutes mes sœurs est de ne pas marier leurs filles à un jeune âge, » a-t-elle dit à BBC Persia. « Laissons-les terminer leur éducation au même âge que nos fils. »
Mais les propres filles de Sharbat Gula arrivent dans un Afghanistan qui offre de moins bonnes perspectives d’avenir que celles que sa mère avait il y a plus de 30 ans. Aujourd’hui, seule la moitié des filles afghanes sont scolarisées, et la majorité abandonnent l’école entre 12 et 15 ans. Dans les campagnes, le nombre de filles scolarisées décline.
Human Rights Watch explique que l’égalité des sexes en Afghanistan a pris du retard par rapport au Pakistan et à l’Iran, qui ont accueilli en tout six millions de réfugiés afghans pendant la guerre. Les femmes et les filles revenant en Afghanistan devront accepter d’être toujours accompagnées d’un homme pour les escorter et pour prendre pour elles les décisions importantes. Parfois, comme le rapporte HRW, ces réfugiées sont perçues comme « immorales ou indécentes, » parce qu’elles ont grandi à l’étranger. De fait, les réfugiées sont de plus en plus susceptibles de subir des discriminations et des violences sexuelles, selon Manizha Naderi, directrice de Women for Afghan Women.
« Si Sharbat Gula a été accueillie chaleureusement en Afghanistan, des milliers d’autres réfugiées afghanes sont forcées de revenir dans leur pays natal sans leur famille, sans emploi ou logement, sans espoir d’une vie stable. »
Lien de l’article original: http://www.nationalgeographic.fr/photographie/lafghane-aux-yeux-verts-rentre-en-afghanistan-apres-30-ans-dexil

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